Kanopa

Laurent Duclos

  • Talent 2025
  • Artisanat
  • Auvergne - Rhône-Alpes
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Talent BGE pour la région Auvergne-Rhône-Alpes
Conception, construction et vente de tiny houses atypiques en bambou.

Un début en Chine

Laurent nous confie son histoire : « J’ai fait des études d’ingénieur en génie civil à Saint-Étienne, avec un DESS en gestion de projet dans le bâtiment. En fin d’études, je suis parti faire un stage en Chine… et je ne suis jamais revenu ! Là-bas, j’ai commencé dans une boîte d’architecture, puis j’ai monté mon propre cabinet de consulting, spécialisé dans les marinas et ports de plaisance. Ça a été difficile au début : nouvelle langue, nouveau pays, nouvelle activité… Mais j’ai tenu bon. J’ai réussi à développer mon entreprise, embaucher une petite équipe, et ça a bien tourné pendant 10 ans.
Puis ça a commencé à décliner, et le COVID a tout fait basculer. Juste avant que les frontières ne soient fermées, j’ai décidé de rentrer en France. Je suis revenu avec un sac à dos et mon ordi. J’avais tout perdu : boulot, économies, projet en développement (un genre d’Airbnb pour bateaux)…
Je suis revenu à zéro, c’était une grande remise en question, un passage difficile autant physiquement et moralement. Je suis retourné vivre chez mon père, puis dans une vieille caravane pliante sur le terrain de ma sœur.

Un retour en France vers la simplicité

J’ai pris du temps pour moi, changé mon alimentation, fait des jeûnes, travaillé sur moi. J’ai vécu presque deux ans dans cette mini-caravane, pour finalement me rendre compte qu’il ne me manquait pas grand chose et que j’étais bien. Je n’avais pas envie de retourner à une vie de bureau ou d’ingénieur. J’avais connu le confort matériel, les voitures, les villas… mais je n’en voyais plus le sens.

Petit à petit, j’ai listé ce qu’il me manquait pour vivre à l’année en mode léger. C’est à ce moment que je suis tombé sur l’univers des tiny houses (ou roulottes, comme j’aime dire). Et j’ai décidé d’en construire une moi-même, en bambou, un matériau que j’avais en tête depuis longtemps. J’avais envie de travailler des matériaux naturels et respirants, comme le bois massif, le liège, la peinture à la craie, qui procurent une atmosphère saine, une régulation de l’humidité, et une qualité de sommeil sans pareil.

Je n’étais pas bricoleur à la base, mais je m’y suis mis, tout seul, dans un champ, en travaillant posé sur des palettes, à genoux, par tous les temps. C’était dur, mais j’étais heureux. Je faisais quelque chose de concret, utile, écologique, et qui avait du sens.

Il m’a fallu un an et demi pour finir ma première tiny. J’ai appris sur le tas, recommencé plein de fois, mais j’ai tenu bon. Aujourd’hui, ça fait deux ans que j’y vis. Et je suis très heureux. J’ai trouvé un mode de vie qui me convient, simple, autonome, léger.  Je n’ai pas envie de revenir à la “vie normale”. Je vis dehors, je n’ai pas de pression, je fais le choix de la décroissance. Je suis libre. Et surtout… je fais quelque chose qui me plaît vraiment.

La naissance du projet

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à penser à commercialiser le fruit de mon travail. J’ai rencontré un comptable qui m’a parlé des prêts d’honneur du réseau Initiative. Je suis allé me renseigner à la mission locale, ils m’ont confirmé, mais m’ont dit que c’était un gros dossier à monter. Ça tombait bien, j’avais du temps et un projet.
J’ai contacté Initiative, ils m’ont dit OK sur le principe, mais il fallait un business plan solide pour passer en commission et obtenir le prêt d’honneur et la garantie pour aller voir une banque. C’est là que j’ai été orienté vers BGE AURA. Grâce au travail que j’ai fait avec eux, j’ai pu présenter un dossier qui a tapé dans le mille. Le budget qu’il me fallait correspondait exactement au plafond de prêt auquel je pouvais prétendre.  Je suis confiant dans ma capacité à rembourser le prêt, même si j’ai un peu de retard par rapport à l’échéancier du business plan.

Se professionnaliser

J’ai pris le temps de me construire un vrai outil de travail : une remorque-atelier. Parce que la première roulotte, je l’ai faite à genoux sur des palettes, dans l’herbe, je perdais mes outils… c’était du bricolage de survie. Il fallait passer par là, mais aujourd’hui je monte en niveau. J’ai acheté deux nouvelles remorques : une pour la prochaine roulotte, une pour l’atelier. Maintenant j’ai 15 m² pour bosser, tout est rangé, je peux transporter mes bambous moi-même, et je ne suis plus bloqué quand il pleut. J’ai aussi passé mon permis BE (remorque), pas facile, mais je l’ai eu au deuxième essai. C’est essentiel pour rester mobile.
Et puis, vers la fin de la construction, je reçois dans ma boîte mail une offre de formation “constructeur bois” pile le jour de mon anniversaire ! Je me suis dit : “C’est un signe.” Je l’ai faite, et ça m’a permis de peaufiner mes compétences, de mieux connaître le bois, et d’ajouter une corde à mon arc.

Les contraintes du bambou

Au début, j’ai joué la carte sécurité : j’ai acheté mon bambou à la célèbre bambouseraie d’Anduze, dans le sud. Qualité au top, rien à dire. Mais pour la deuxième roulotte, je me suis rendu compte qu’ils avaient vraiment augmenté leurs prix… Il me fallait une solution. C’est là, j’ai trouvé un petit artisan, un vrai bambousier du côté de Bordeaux. Il fait ça depuis plus de 10 ans, il sait exactement à quelle maturité et à quelle phase de la lune couper les bambous pour éviter les tanins, les insectes, tout ça. Un vrai savoir-faire.

Mais le bambou, c’est pas simple à connecter. En Asie, ils montent leurs structures avec de la cordelette. Ça marche bien pour des structures qui ne bougent pas, mais pour une roulotte, c’est pas la pareil. Il faut de la précision au millimètre, pour que ça tienne, même en roulant. J’ai cherché partout : il n’y avait rien d’existant…

Donc j’ai développé mes propres connecteurs bambou. Et là encore, coup de chance incroyable : un client de ma sœur travaillait dans une grosse métallerie, équipée d’un laser industriel géant (il doit y en avoir une dizaine en France). Et ce gars-là habitait… à 2 km de chez moi. Il m’a dit : “Montre-moi ce que tu veux faire, je vais t’aider à faire l’étude, et je te les découpe.” Et voilà. Une fois de plus, toutes les planètes sont alignées. Je me suis dit : “C’est bon, t’es exactement là où tu dois être.”

Construire une marque

Le nom “Canopée”, je l’adorais. La canopée, c’est l’écosystème des cimes, au-dessus de la forêt, un monde parallèle. Et c’est un peu ça que je suis en train de construire : une autre manière de vivre, en hauteur — à la fois physique et symbolique. Quand on vit dans une tiny, on prend du recul. On vit plus lentement, et on voit les choses avec un peu plus de clarté. Comme quand on grimpe en haut d’un arbre. Mais “Canopée”, c’est un nom déjà très utilisé. Alors je l’ai raccourci en “Kanopa”. Plus simple à prononcer dans toutes les langues, plus facile à écrire, à retenir.

Ce que j’aime dans ce projet, c’est que je le vis. Je le construis, vraiment. Je ne suis pas en train de broder une légende marketing. Je vis une histoire que je pourrai raconter, sans avoir besoin de l’inventer. Elle sera vraie, vécue, palpable. Et ça, c’est précieux.
Je pense souvent à Riva. Les bateaux en bois. Des bijoux d’ébénisterie. À l’origine, début 1900, les gars travaillaient dans des ateliers bricolés, un peu comme je le fais maintenant. Et aujourd’hui, un Riva, c’est un bateau de luxe. Et ils se vendent si cher pas seulement à cause du coût du bois et de la main d’œuvre, mais parce qu’il y a l’histoire, une âme, un rêve. Et c’est ce que j’essaie de construire aussi. Un rêve. Pas une manipulation, non. Mais un imaginaire. Parce qu’une marque, c’est aussi ça : “Qu’est-ce que ça évoque en vous ?”

Et demain ?

Pour l’instant, je choisis de travailler seul parce que je ne veux pas prendre la responsabilité qu’un salarié puisse se blesser sur un de mes chantiers. Il faut que j’optimise les procès de travail. Je préfère renoncer à une commande trop importante pour ma capacité de production. Je veux que chaque roulotte soit parfaite, prendre soin de chaque finition, pas produire à la chaîne.

Je sais que je ne vais pas construire des roulottes toute ma vie, tout seul. Aujourd’hui, mon objectif est simple : construire une ou deux roulottes par an, c’est suffisant pour subvenir à mes besoins. En revanche, là où j’ai des perspectives de développement c’est sur l’assistance à l’auto-construction. J’ai déjà tout le process : les plans, la liste des matériaux, le planning. Il me suffirait de quelques visites réparties sur un chantier, et je peux accompagner jusqu’à une dizaine de personnes en parallèle à distance. Même si c’est en France entière.

En attendant je continue à construire mes roulottes, je peaufine les détails. Plus tard, je pourrai les louer. L’idée, à terme, c’est de construire un petit patrimoine, et pourquoi pas devenir un rentier… éthique.

En attendant, je travaille à mon rythme. Lentement, en conscience. Pour faire les choses bien. Et peut-être qu’un jour ça prendra de l’ampleur. Mais je ne suis pas pressé. Je construis une histoire, une manière de vivre, un état d’esprit, pas juste des petites maisons. »

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